Les jeux de hasard et d’argent en ligne ont connu une forte croissance durant la pandémie. Parmi ces jeux en ligne : les paris sportifs. Comme avec tout autre jeu de hasard et d’argent, il est possible de perdre le contrôle et de développer une dépendance. Si le pari sportif reste une activité occasionnelle et sociale pratiquée entre amis pour la majorité des personnes, il peut toutefois devenir problématique pour d’autres.
Une omniprésence des plateformes en ligne
Ces dernières années, les plateformes de paris sportifs en ligne se sont multipliées. Elles sont non seulement plus nombreuses que jamais, mais beaucoup investissent massivement dans la publicité, tant pour attirer de nouveaux joueurs que faire revenir les initiés. Au Québec, la seule plateforme de jeux en ligne légale est celle de Loto-Québec, Mise-o-jeu. Toutefois, de nombreuses autres, considérées illégales, n’ont aucune difficulté à opérer sur le territoire et à y publiciser leur offre. « Presque tous les joueurs nous disent que la publicité est trop présente, que c’est un incitatif pour aller jouer. » explique Sylvia Kairouz, professeure et titulaire de la chaire de recherche sur l’étude du jeu à l’université Concordia, citant une récente consultation qu’elle a menée en ligne auprès de 98 joueurs.
« De nombreuses stratégies de fidélisation […] peuvent augmenter le risque de développer des problématiques. »
Une large part de cette publicité concerne des plateformes autres que celle de Loto-Québec. Citant la même étude, Mme Kairouz rapporte qu’« au moins 40 % des participants jouent uniquement sur d’autres plateformes que Loto-Québec. » D’autres combinent à la fois Loto-Québec et les plateformes illégales. « Ces sites sont potentiellement plus dommageables pour les parieurs car on n’y trouve aucune balise » explique Andrée-Anne Légaré, professeure adjointe à l’université de Sherbrooke. « Leur modèle est strictement commercial. De nombreuses stratégies de fidélisation, comme des parties gratuites par exemple, peuvent augmenter le risque de développer des problématiques. »
Autre facteur de risque : ces plateformes de pari en ligne sont des portes ouvertes vers d’autres formes de jeux de hasard et d’argent. Sylvia Kairouz explique : « En arrivant sur ces plateformes, certains joueurs souhaitent participer à une seule activité. Mais ces sites, incluant celui de Loto-Québec, sont des guichets uniques qui offrent plein d’autres activités. Les joueurs peuvent alors s’initier à d’autres formes de jeu. » Un modèle alors susceptible de favoriser la perte de contrôle.
Le pari sportif : une activité « sociale »
À l’inverse de la majorité des jeux de hasard et d’argent, le pari sportif a une dimension « sociale », puisqu’il peut se pratiquer en groupe, dans une ambiance de fête. Pour Sylvia Kairouz, l’effet de groupe peut autant avoir un effet négatif que positif. Dans une ambiance festive, les paris peuvent se faire sans méfaits : on se rassemble, on discute, on parie : le jeu est une activité parmi d’autres, sans être central. « Il peut y avoir une forme de contrôle social : par exemple, on décide que tout le groupe mise le même montant, et on empêche les uns de mettre plus que les autres. Il y a un effet protecteur contre les excès. »
« La composante sociale peut créer une forme d’entrainement. »
Dans d’autres cas au contraire, « il peut y avoir un effet d’entrainement. C’est la même dynamique que devant une machine de jeu : on est dans la zone, on se laisse emporter par le moment. » C’est ce que confirme Andrée-Anne Légaré, qui prend l’exemple des pools de hockey, très populaires au Québec. : « La composante sociale peut créer une forme d’entrainement. Quand un joueur qui présente des habitudes de jeu problématiques veut arrêter, une forme de négociation s’installe : il peut choisir d’arrêter un certain type de pari, mais quand même participer au pool de hockey pour ne pas être exclu. » Une forme de pression sociale qui pousse à toujours garder un pied dans le jeu, là où certains préfèreraient se tenir loin de toute tentation. C’est que le pari sportif, comme son nom l’indique, est imprégné d’une culture du sport qui tend à valoriser la compétition, le challenge, l’esprit d’équipe ou le dépassement de ses limites. Autant de valeurs qui, appliquées aux jeux de hasard et d’argent, peuvent à un certain point encourager des excès aux conséquences parfois néfastes.
Une affaire de compétences plutôt que de hasard?
Parier sur la victoire ou la défaite d’une équipe lors d’un match : est-ce vraiment du hasard? Après tout, une bonne connaissance d’un milieu sportif peut permettre de « mieux parier » et ainsi multiplier ses chances de gagner : connaitre le début de saison d’une équipe, la composition de cette équipe, la performance des joueurs durant la saison, les joueurs blessés, le niveau des adversaires… autant d’informations qui peuvent effectivement aider à prédire un résultat et donc faire le bon pari. Mais est-ce vraiment si facile?
« On ne parie pas toujours uniquement sur le résultat du match, mais aussi sur le nombre de buts par exemple. […] Ça devient donc rapidement une question de chance plus que de connaissances. »
D’abord, lorsque les informations sont trop évidentes et que, par exemple, une équipe est en position de favoris incontestée, le nombre de joueurs à parier sur leur victoire est démultiplié, donc les gains sont moindres. Les parieurs sont ainsi poussés à miser plus ou à faire des paris plus risqués pour espérer empocher de meilleurs gains. Mais ce n’est pas tout : la nature des paris a elle aussi changé : « On ne parie pas toujours uniquement sur le résultat du match » explique Sylvia Kairouz, « mais aussi sur le nombre de buts par exemple. On peut aussi faire des micro-paris en cours de match. Ça devient donc rapidement une question de chance plus que de connaissances. » Certaines plateformes peuvent même pousser le concept de « pari sportif » plus loin encore, en proposant de miser sur la couleur de la cravate d’un commentateur sportif, par exemple. « Au bout du compte, le bilan est négatif : on perd plus que l’on ne gagne. » conclut Mme Kairouz.
Des ressources d’aide encore peu sollicitées
Les joueurs qui ont perdu le contrôle sur le pari sportif sont peu nombreux à demander de l’aide. « Le pari sportif n’est pas vraiment considéré par les joueurs comme un jeu de hasard et d’argent. » explique Andrée-Anne Légaré. Si l’on parle de plus en plus des problématiques de dépendance aux jeux de hasard et d’argent, « pour les parieurs sportifs, ce n’est pas clair qu’on est dans le même genre de problématique. »
« Il reste cette idée que c’est une activité entre chums, pour le fun. C’est moins facile d’assumer qu’on a besoin d’aide. »
C’est ce que confirme Gil Bellemare, intervenant pour le service Jeu : aide et référence. « Depuis 10-15 ans on parle de plus en plus du risque de dépendance aux jeux de hasard et d’argent. Plus récemment, on s’intéresse aussi de plus en plus à la cyberdépendance. Pour le pari sportif, on commence à réaliser que des personnes ont des problèmes, la perception se développe. Mais il reste cette idée que c’est une activité entre chums, pour le fun. C’est moins facile d’assumer qu’on a besoin d’aide. »
Pourtant, de l’aide existe. « Il faut continuer de parler de ce type de dépendance et des ressources qui existent. » ajoute-t-il. Les intervenants de Jeu : aide et référence sont justement là pour répondre aux besoins des joueurs. Si les demandes d’aide reçues par le service restent bien inférieures aux autres formes de jeux de hasard et d’argent, le pari sportif est toutefois le sixième motif d’appel, derrière le poker.
« Il y a des personnes qui souhaitent discuter avec d’autres joueurs, qu’on peut référer par exemple aux Gamblers anonymes. » explique M. Bellemare. « On réfère également beaucoup aux Centres de réadaptation en dépendance (CRD). Les intervenants des CRD vont pouvoir déterminer où le joueur est rendu dans son rapport au jeu, pourquoi ça prend tant de place dans sa vie, quels sont les déclencheurs, etc., pour pouvoir l’aider à reprendre le contrôle. »